Petit-déjeuner avec Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis et Xavier Ragot, président de l’OFCE

Publié le 11 mars 2015

Le mardi 10 mars 2014, nous avons eu le plaisir d’accueillir Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis et Xavier Ragot, président de l’OFCE sur le thème « Entre rigueur indispensable et austérité irresponsable, où situer le curseur ? »

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– Patrick Artus: En l’absence de politiques incitatives, le surcroit de croissance des prochains mois ne provoquera pas de reprise de l’investissement ; Xavier Ragot : un cercle vertueux peut s’engager et permettre une reprise de l’investissement
-Plan Juncker : Patrick Artus : On ne manque pas tant d’argent que de projets cohérents. Xavier Ragot : Insuffisant, économiquement, ce Plan est politiquement fin car il exclue les nouvelles dépenses des Etats des 3% de déficit de Maastricht.

Encourageant à court terme, le diagnostic de Patrick Artus l’est nettement moins à moyen ou long terme. Pour le directeur de Recherche et des Etudes de Natixis, la conjonction d’un faible coût du pétrole, d’une baisse de l’euro et de taux d’intérêt « zéro » permettra de porter la croissance à 2% peut-être en 2015 et d’engranger « dans les 16 à 18 mois prochain », une hausse de 1,2 point de PIB du revenue réel dans la zone euro. Une bonne nouvelle pour les ménages et les entreprises mais la question de l’ «après » se pose. Que fera-t-on de ce surcroit de croissance ? En clair, l’investissement va-t-il reprendre ? La réponse est « non », « en l’absence de politiques d’incitation notamment en France, en Allemagne et en Italie ».

Car si la nature même des cures d’austérité imposées en Espagne, au Portugal et, surtout, en Grèce peut susciter la critique – «il aurait mieux fallu faire payer les riches que les pauvres et préserver la santé et l’éducation »- l’austérité s’imposait dans des pays qui, contrairement aux émergents confrontés à une crise de balance des paiements, ne pouvaient jouer de la dépréciation du taux de change, en zone euro. Et si l’on en juge par le cas de l’Espagne, « l’austérité paye ». La compétitivité s’est nettement redressée et les investisseurs étrangers reviennent. Mais « 70% des gains de parts de marché des Espagnols ont été pris à la France et l’Italie ». L’Italie lui semble, d’ailleurs, le « vrai sujet » d’inquiétude. Les investissements baissent, les exportations s’effondrent. Ce pays, « le plus malade » de la zone euro risque « l’explosion dans les prochaines années ».

D’accord sur le diagnostic conjoncturel, Xavier Ragot n’en tire pas les mêmes conclusions. Pour le président de l’OFCE, le « facteur demande » va tirer la croissance de la zone euro et créer un cercle vertueux favorable à l’investissement. D’autant qu’on a pris conscience des excès de l’austérité imposée en début de crise. Le chef économiste du FMI Olivier Blanchard l’a reconnu. Et le « Plan Juncker » en tire les leçons qui devrait assurer entre 0,5 et 0,7% de croissance supplémentaire.

Il était temps. L’« erreur européenne massive » des débuts de crise a « créé du chômage inutile » qu’on mettra du temps à résorber. Se présentant comme un « keynésien éclairé », Xavier Ragot, après avoir salué la politique du président de la BCE Mario Draghi qui a permis de faire baisser l’euro, dénonce le fait que l’ « Allemagne est maladivement excédentaire » et représente, à elle seule 8%, des exportations de toute la zone euro ». Ce n’est pas, selon lui, un problème d’innovation ou de taux de marge des entreprises – qui a été rétabli en France, sur ce point, nos deux intervenants sont d’accord- . Mais un problème de salaires. Les Grecs ont connu une « dévaluation interne de 20 à 30% », les Allemands une « réévaluation interne de 20% ». Bref, nous sommes confrontés à une mauvaise allocation du capital.

Pour Patrick Artus, cette interprétation est erronée. Les coûts salariaux unitaires sont pratiquement les mêmes en France, en Allemagne et en Italie. En outre, l’Allemagne enregistre un déficit commercial avec la zone euro, ce qui n’était pas le cas avant la crise, grâce à sa capacité à exporter hors zone euro. La vraie difficulté, à ses yeux, tient à un excédent d’épargne Outre Rhin : les Allemands ne prêtent plus aux européens mais au reste du monde. Le véritable enjeu du Plan Juncker est de ramener en Europe cette épargne financière. Or, si la BCE a permis de baisser les taux à leurs plus bas niveaux, cette politique peut, à terme se révéler dangereuse. Le risque n’étant plus valorisé sur les marchés, on pourrait connaitre un « réveil douloureux dans 2 à 3 ans ».

Xavier Ragot ajoute un élément culturel au débat et aux dangers futurs : « l’Union européenne n’a pas encore de vision cohérente sur la solvabilité des Etats ». Entre le « fédéralisme budgétaire à l’Allemande -un land ne peut pas faire faillite, mais après l’avoir « puni », on le sauve »- et le « fédéralisme à l’Américaine où on peut laisser un Etat faire défaut, les tensions persistent entre Européens. Avec le risque de « punir un Etat et de le voir faire défaut ».

Reste à savoir comment relever le potentiel de croissance de la zone euro à long terme. Le « Plan Juncker » consistant à injecter 105 milliards d’euros pour libérer, par effet de levier, quelque 315 milliards d’euros d’investissements publics et privés en trois ans dans des projets européens d’avenir, sera-t-il suffisant pour changer la donne ? Pour Patrick Artus, « ce n’est pas tant l’argent qui manque mais des projets cohérents ». Si Xavier Ragot renchérit en soulignant qu’en termes économiques, le « plan Juncker est trop petit, il est fin politiquement » : il ne fait pas entrer la participation financière des Etats membres dans la comptabilité de leurs déficits publics, fixés à 3% de pib par le traité de Maastrich.