Petit-déjeuner avec Jean Pisani-Ferry, directeur du centre de réflexion Bruegel et Alain Lipietz, économiste, ancien eurodéputé (EELV)

Publié le 8 décembre 2012

Le vendredi 7 décembre 2012, nous avons eu le plaisir d’accueillir Jean Pisani-Ferry, directeur du centre de réflexion Bruegel et Alain Lipietz, économiste, ancien eurodéputé (EELV), sur le thème « La zone euro : vraies et fausses sorties de crise »

Jean Pisani Ferry Alain Lipietz

. Pisani-Ferry : Les risques sociaux et politiques dans les pays du Sud ont été pris « trop à la légère »
. Lipietz : Redonner du pouvoir d’achat ne suffit pas. Il faut investir dans un « green deal » pour répondre, aussi, à la crise écologique.
. Pisani-Ferry : on devrait s’enorgueillir des fonds structurels, un « super plan Marshall » sans commune mesure avec les project bonds

Diagnostic : Pour Jean Pisani-Ferry, le Conseil européen du 22 juin dernier a constitué une étape : les pays de la zone euro ont enfin reconnu que la crise a fait éclater au grand jour les défauts de conception de la zone euro. Mais l’Europe a été « trop timide » et a laissé s’aggraver la fracture entre les pays du Nord et les pays du Sud. Les risques sociaux et politiques en Grèce, en Espagne ou en Italie ont été pris « trop à la légère ». Dans ces conditions, l’austérité, inévitable, « ne constitue qu’une partie de la réponse ». Il faut adopter une stratégie de croissance pour faire repartir les pays du Sud.
Une approche insuffisante, selon Alain Lipietz. A ses yeux, la crise de la zone euro se rajoute à une crise mondiale mais aussi à une double crise écologique : une crise alimentaire avec ses conséquences sur la santé et une crise énergétique avec ses effets climatiques et ses risques d’accidents. On ne peut se contenter, comme au lendemain de la crise de 29, de redonner du pouvoir d’achat : dès que la tourmente s’apaise, les marchés de produits alimentaires et énergétiques repartent à la hausse. Pour lui, la seule réponse cohérente, est d’ « organiser une demande verte ». Un « green deal » qu’il voudrait mondial et qui a un coût financier pour assurer des investissements durables. Contrairement, par exemple, à l’Espagne qui « s’est couverte d’autoroutes financées pour moitié par l’Union européenne »… qui ne sera jamais remboursée.
Les deux économistes sont, en revanche, d’accord pour penser qu’il est urgent de donner pays les plus malmenés de plus longs délais pour affronter leurs échéances et s’en sortir. « Jusque 12 ans » dans le cas grec souligne Jean Pisani-Ferry. Et Alain Lipietz de rappeler qu’on peut donner du temps au temps : « les Allemands ont fini de rembourser leur dette de 1914-18… en 2010 ».

Le cas grec : Si le rachat de dette publique grecque par la BCE a permis de réduire les taux d’intérêt, cela ne suffit pas, souligne le directeur de Bruegel. « On ne peut traiter les problèmes systémiques de la zone euro de façon locale » renchérit Alain Lipietz. Fallait-il laisser entrer la Grèce dans la zone euro ? La réponse des deux intervenants est claire : « non ». La Pologne, elle, a raison d’attendre de pouvoir le faire dans de bonnes conditions. Avec le recul du temps, on mesure les effets pervers de taux d’intérêt tirés vers le bas par les meilleures signatures de la zone : les Grecs ont multiplié les mauvais investissements prolongé une mauvaise gouvernance. Bref, entre l’Union européenne et les pays du Sud, les « responsabilités sont partagées ». Mais pour les deux économistes, une sortie de la Grèce de l’euro aurait un coût « énorme » pour les populations.

Union bancaire : En attendant, il est urgent de ne pas perdre de temps, de dé-corréler le risque bancaire du risque souverain. Car l’Europe du Sud n’est plus financée s’inquiète Jean Pisani-Ferry. Il existe une crise de balance des comptes courants au sein même de la zone euro avec le retrait brutal des pays du Sud des capitaux venant du Nord. En cette veille de Conseil européen des 13 et 14 décembre, un compromis lui semble possible entre Madrid et Berlin sur une recapitalisation des banques espagnoles par le biais du Mécanisme européen de Stabilité (MES). Comme il ne lui semble pas compliqué de trouver un compromis franco-allemand sur le volet surveillance de l’Union bancaire. L’autorité ultime appartiendra à un superviseur européen, la BCE, mais il reviendra aux autorités nationales de retirer sa licence à une banque, en cas de besoin. Bien sur, la supervision par la BCE des 6000 banques de la zone euro exigera de l’institution qu’elle s’organise. « C’est compliqué mais gérable » pour le directeur de Bruegel.

Union budgétaire : Sur ce sujet, on est encore dans le flou et on voit mal se profiler un compromis politique selon Jean Pisani-Ferry. Le ministre français de l’Economie et des Finances Pierre Moscovici commence à en parler pour la zone euro, au nom d’une « intégration solidaire ». Une union budgétaire pourrait servir d’assurance contre les chocs grâce à des transferts temporaires. Mais les esprits ne sont pas mûrs. Et il existe un système de transferts au sein de l’Union, grâce aux fonds structurels qui représentent un « super plan Marshall » pour les pays et régions en retard dont « on devrait s’enorgueillir ». En regard, le plan de relance de 120 milliards d’euros annoncé par l’Union représente peu de chose. Quant aux « project bonds », leur « ridicule » enveloppe de 400 millions d’euros ne changera pas la face de l’économie européenne.